| pastourelle
 Comte Thibaud IV de Champagne
 
	  le Chansonnier Je cheminais l'autre jour
 
 Sans compagnon Sur mon palefroi, pensant
 Faire une chanson
 Quand j'entendis, je ne sais comment,
 Près d'un buisson
 La voix de la plus belle enfant
 Qu'on vît jamais,
 Elle n'était pas si jeune,
 Elle avait quinze ans et demi
 Et je n'avais jamais rien vu
 De si agréable façon.
 Je vais tout de suite vers elle Et lui adresse la parole :
 "Belle, par Dieu, dites-moi
 Comment vous vous appelez."
 Elle saute aussitôt
 Sur son bâton :
 "Si vous faites un pas de plus,
 Gare aux coups !
 Seigneur, fuyez d'ici
 Je n'ai cure d'un tel ami,
 J'en ai choisi un plus beau
 Qu'on appelle Robeçon."
 La voyant s'effrayer Si fort
 Qu'elle ne daigne pas me regarder
 Ni faire autre mine,
 Je me mis à réfléchir
 Pour savoir comment
 Elle pourrait m'aimer
 Et changer d'intentions.
 Je m'assis près d'elle à terre ;
 Plus je regardais son clair visage
 Plus mon coeur était épris
 Et redoublait mon désir.
 J'entrepris alors de lui demander Bien gentiment
 De daigner m'accorder un regard
 Et de faire une autre figure.
 Elle se met à pleurer
 Et à me dire :
 "Je ne puis vous écouter
 Et ne sais ce que vous recherchez."
 Je m'approche d'elle et lui dis :
 "Ma belle, par Dieu, pitié !"
 Elle rit et me répond :
 "N'en faites rien à cause des gens !"
 Je la mis en selle devant moi D'un seul coup
 Et je m'en allai tout droit
 Vers un bois verdoiant.
 Je regardai en bas, vers les prés,
 Et j'entendis crier
 
       Deux bergers au milieu d'un champ de blé Qui accouraient en vociférant
 Et poussaient de grands cris.
 Je fis plus que je n'avoue :
 Je les laisse là et prends le large
 N'ayant rien de commun avec ces gens.
 J'aloie l'autrier errant Sanz compaignon
 Seur mon palefroi, pensant
 A fere une chançon,
 Quant j'oï, ne sai comment,
 Lez un buisson
 La voiz du plus bel enfant
 C'onques veïst nus hom ;
 Et n'estoit pas enfes si
 N'eüst quinze anz et demi,
 N'onques nule riens ne vi
 De si gente façon.
 Vers li m'en vois maintenant, Mis l'a reson :
 "Bele, dites moi comment,
 Pour Dieu, vous avez non !"
 Et ele saut maintenant
 A son baston :
 "Se vous venez plus avant
 Ja avroiz la tençon.
 Sire, fuiez vous de ci !
 N'ai cure de tel ami,
 Que l'ai mult plus biau choisi,
 Qu'en claime Robeçon."
 Quant je la vi esfreer Si durement
 Qu'el ne me daigne esgarder
 Ne fere autre semblant,
 Lors commençai a penser
 Confaitement
 Ele me porroit amer
 Et changier son talent.
 A terre les li m'assis.
 Quant plus regart son cler vis,
 Tant est plus mes cuers espris,
 Qui double mon talent.
 Lors li pris a demander Mult belement
 Que me daignast esgarder
 Et fere autre semblant.
 Ele commence a plorer
 Et dist itant :
 "Je ne vos puis escouter ;
 Ne sai qu'alez querant."
 Vers li me trais, si li dis :
 "Ma belle, pour Dieu merci !"
 
       Ele rist, si respondi : "Ne faites pour la gent !"
 Devant moi lors la montai De maintenant
 Et trestout droit m'en alai
 Vers un bois verdoiant.
 Aval les prez regardai,
 S'oï criant
 Deus pastors par mi un blé,
 Qui venoient huiant,
 Et leverent un grant cri.
 Assez fis plus que ne di :
 Je la les, si m'en foï,
 N'oi cure de tel gent.
    
     
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